Les listes des dernières victimes de la Terreur avaient été publiées dans les numéros du Moniteur des 7 et 9 thermidor an II. Tel fut le point de départ du tableau de Müller, ancien élève de Gros. L’artiste ne chercha pas à reproduire tous les guillotinés, bien qu’il ait publié ces listes dans les livrets des expositions où son tableau fut présenté au public. À ces listes, Müller ajouta le récit de l’appel nominal des victimes que Thiers rapporta dans son Histoire de la Révolution française (1823-1827). Il convient d’évoquer en outre l’influence certaine de Louise Desnos, artiste qui avait exposé un tableau sur ce sujet au Salon de 1846, dont Müller parvint à magnifier l’intimité. Enfin, le récit de Vigny sur la mort d’André Chénier, paru dans Stello (1832), fut déterminant pour l’artiste. L’huissier, « le grand pâle », ainsi que les commissaires de la République et les geôliers décrits par l’écrivain sont parfaitement visibles dans la toile de Müller. Comme Vigny, c’est à Chénier que le peintre donne le premier rôle en le plaçant au centre du tableau. Tout cela se conjugua dans l’esprit de Müller pour créer une vaste fresque historique. Esprit encore romantique, l’artiste s’enthousiasma pour le poète incompris qu’était Chénier, génie solitaire isolé au premier plan au sein des autres prisonniers, à l’inverse du poète Jean-Antoine Roucher, également représenté sur la toile, beaucoup plus célèbre alors que Chénier, mais dénué de puissance créatrice. On reconnaît à droite « la jeune captive » célébrée par Chénier, Aimée de Coigny, implorant à genoux l’abbé de Saint-Simon. Les prisonniers que Müller a retenus sont d’ailleurs en grande majorité des aristocrates (le marquis de Montalembert, la comtesse de Narbonne-Pelet, la princesse de Monaco, etc.), alors que les listes du Moniteur donnent surtout des noms d’artisans et de sans-culottes.
Plusieurs erreurs sont à relever sur le plan historique, en particulier la présence mêlée d’hommes et de femmes, alors qu’ils étaient séparés dans les prisons révolutionnaires. Mais Müller voulait l’efficacité, le drame, le tragique. Sa composition est rigoureusement symétrique, ouvrant sur une seule porte centrale par laquelle s’engouffre la lumière et par où sort la princesse de Chimay, traînée à la guillotine. Car même cette lumière respire l’horreur : il n’y a pas d’espoir dans cette œuvre. Au frémissement des prisonniers cachés dans l’ombre, et dont on perçoit l’angoisse, s’oppose l’assurance affichée par le commissaire qui procède à l’appel. Ordonnée autour de groupes dont seul Chénier se détache, l’œuvre est rythmée par les ombres et les lumières, inversées dans leur symbolique : l’ombre est la vie, et la lumière la mort. Ainsi, à droite, un garde désigne la princesse de Monaco qu’une lumière blanche vient arracher aux ombres moribondes qui l’environnent.
Chénier, quant à lui, attend. Il réfléchit sur le sens de toute cette horreur. Son attitude reprend celle du Brutus de David (musée du Louvre), mais, à l’inverse de son prédécesseur, Müller place le héros au centre de l’action. Chénier s’oppose aux sentiments communs des autres personnages qui l’entourent : peur, réaction de survie. Lui qui devait dire : « J’avais pourtant quelque chose là », en se frappant le front, philosophe sur l’absurdité de cette terrible répression aveugle.